Rezension über:

Adrien Palladino: Inventing Late Antique Reliquaries. Reception, Material History, and Dynamics of Interaction (4th-6th centuries CE) (= I libri di Viella. Arte; 12), Roma: viella 2022, 309 S., 17 Farb-, 88 s/w-Abb., ISBN 978-88-3313-867-1, EUR 48,00
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Rezension von:
Didier Méhu
Université Laval, Québec
Redaktionelle Betreuung:
Philippe Cordez
Empfohlene Zitierweise:
Didier Méhu: Rezension von: Adrien Palladino: Inventing Late Antique Reliquaries. Reception, Material History, and Dynamics of Interaction (4th-6th centuries CE), Roma: viella 2022, in: sehepunkte 23 (2023), Nr. 9 [15.09.2023], URL: https://www.sehepunkte.de
/2023/09/37696.html


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Adrien Palladino: Inventing Late Antique Reliquaries

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Dans ce livre issu d'une thèse de doctorat soutenue en 2019 à l'Université de Fribourg, Adrien Palladino (AP) étudie la matérialité, le décor et les usages sociaux d'un ensemble de coffrets tardo-antiques ayant contenu des reliques.

L'introduction pose clairement le cadre intellectuel et historiographique. Le chapitre 1 dresse le bilan de la manière dont ces objets ont été étudiés et classifiés par le passé, afin d'identifier les cadres qui ont conditionné leur réception jusqu'à aujourd'hui. AP en déduit notamment un appel à la prudence à l'égard de la catégorie de "reliquaire" appliquée à ces coffrets, dans la mesure où les arguments en faveur d'un tel usage peuvent faire défaut.

Dans le chapitre 2, il tente de comprendre comment, quand, pourquoi et par qui de tels œuvres ont été "inventées". Sur la base d'un corpus de petits coffrets (scrinia) dont il envisage les formes, matériaux, inscriptions, décor, techniques et origines, il tente de cerner ce qui constituait un reliquaire à la fin de l'Antiquité. Il ne relève aucune constante. Il s'efforce ensuite de comprendre comment ces œuvres étaient perçues, tant sensoriellement (jeux de visibilité-invisibilité) que mentalement (relations typologiques, valeurs symboliques et sociales des matériaux).

Viennent ensuite une série d'études de cas. La première concerne le reliquaire en argent qui aurait été déposé sous l'autel de San Nazaro de Milan à la fin du IVe siècle. AP synthétise de manière très habile les travaux menés antérieurement sur ce coffret sculpté, ainsi que sur la boîte circulaire en argent portant le nom de Manlia Dedalia qui était déposée à l'intérieur et qui contenait des reliques. L'hypothèse à laquelle il aboutit me semble un des éléments les plus forts du livre. Le coffret et la boîte reliquaire auraient été initialement produits dans le cadre des échanges inter-aristocratiques milanais avant d'étre donnés à l'occasion de la dédicace de la basilique. Enfouis sous l'autel, les coffrets auraient désormais été soustraits du système d'échange et d'ostentation pour lequel ils avaient été conçus. L'invisibilité du coffre, qui avait manifestement été sculpté pour étre vu, participait de cette rupture. L'argent, matière privilégiée pour les dons ostentatoires au sein de l'aristocratie, allait désormais aux saints, ceux qu'Ambroise présentait comme les nouveaux princes de la cité. On pourrait ajouter à la belle argumentation d'AP qu'Ambroise, dans le sermon qu'il prononça à l'occasion de la dédicace de la basilica Juliana de Florence, dans laquelle il plaça les reliques d'Agricole récemment inventées, compara le don des reliques au don des plats d'argent (apophereta) offerts habituellement aux empereurs à l'occasion de leurs triomphes. (Exhortatio virginitatis, 1)

Les trois études de cas suivantes concernent les reliquaires de Pula, Novalja et Grado, tous trois datables vers 400 et situés dans l'aire d'influence ambrosienne. Ces coffrets contenaient des dépôts composites provenant sans doute de dons lors de la dédicace d'une église. AP montre comment certaines boîtes en argent initialement conçues pour contenir des produits cosmétiques ont pu étre utilisées comme reliquaires. Comment mieux montrer, à travers ce "subversive reuse of forms and materials" (148), que le culte des reliques est un transfert d'une valorisation du corps charnel à une vénération du corps spirituel ?

Le chapitre 3 est consacré à quatre œuvres soigneusement ornées : le coffret en ivoire sculpté de Samagher conservé au Museo Archeologico nazionale de Venise (Rome, v. 440) ; le coffret en ivoire conservé au British Museum, dit Maskell casket (Rome ?, v. 420-430) ; le coffret en bois de cyprès peint provenant du trésor du Sancta sanctorum à Rome, aujourd'hui au Museo Sacro du Vatican (Palestine, v. 600) et la lipsanothèque en ivoire conservée au Museo di Santa Giulia de Brescia (Milan ?, v. 370-380). L'objectif d'AP est d'étudier le fonctionnement (plutôt que les fonctions) de ces coffrets afin de déterminer comment ils pouvaient agir sur leurs utilisateurs (notion d'agency). L'hypothèse principale est que les trois premiers ont pu servir à conserver la "mémoire" de lieux saints visités par les personnes qui les ont fait confectionner et dans lesquels elles ont déposé des reliques rapportées de leurs pèlerinages. La notion de "mémoire" retenue ici est ancrée dans l'association métaphorique entre un coffre et les arca sapientiae dans lesquels l'esprit humain loge des images de ce dont il veut se souvenir. AP considère que l'on a affaire à des objets destinés à l'observation, voire à la manipulation. La puissance mémorielle des reliques aurait été "activée" par l'ouverture du coffre ainsi que par l'observation des images qui entretenaient un lien direct avec le contenant.

Quant à la célèbre lipsanothèque de Brescia, AP en situe le contexte de production dans le milieu milanais de la fin du IVe siècle, en lien avec la promotion du culte des reliques initié par Ambroise et l'innovation artistique afférente. Si tout indique que le coffret ne fut pas destiné à étre enfoui dans un autel, il est possible qu'il ait servi à transporter des reliques au sein du réseau épiscopal milanais. AP prolonge l'étude de la réception et des usages du coffret jusqu'à sa réinstallation dans le monastère de Santa Giulia de Brescia, du VIIIe au XIVe siècle, en montrant de manière convaincante comment il fut alors intégré dans la liturgie pascale.

Tout au long de son ouvrage, AP fait preuve d'une excellente maîtrise de la bibliographie, en intégrant les travaux publiés en allemand, anglais, italien et en français. La recherche, sérieuse, apporte des hypothèses nouvelles sur le contexte de production des coffrets et leurs usages. En revanche, la perspective phénoménologique suivie dans le chapitre 3, ainsi que le recours à la notion de "mémoire" me semblent moins convaincants. Je peine à voir quel lien l'interprétation des reliquaires en fonction de leur potentielle réception et des émotions qu'ils ont pu suggérer peut entretenir avec les structures sociales des IVe et Ve siècles. Par ailleurs, au fil des pages, une question se pose, autour de laquelle AP tourne sans l'embrasser pleinement : celle de la nature de la relation entre relique et reliquaire. À plusieurs reprises, et notamment dans la section sur la visibilité des œuvres, il semble confondre les deux : il est en effet question de la translation du reliquaire et de son enfouissement dans l'autel lors de la dédicace, là où il faudrait parler des reliques. Cela pourrait sembler une maladresse de langage si le reste du propos n'entretenait pas cette ambiguïté. En se fondant sur les formes et les décors des coffrets, AP montre bien que ces derniers ont pu étre considérés comme les signes des reliques. Mais dans quelle mesure un signe peut-il étre le signifié ? Peut-on vraiment supposer que le reliquaire dispose de la virtus de la relique, qu'il a lui-méme une agentivité ? Et d'ailleurs, qu'est-ce qu'une relique ? "Personne", "objet", "artefact", "matière", "matière sacrée", comme cela est dit à plusieurs reprises ? Si l'on se tient aux textes des évéques qui ont défini son statut à la fin du IVe siècle, elle est un corps spirituel, c'est-à-dire un corps qui n'a plus rien des contingences de la matière ni des corps charnels, un corps entièrement habité et transfiguré par le Saint-Esprit. Elle est le saint, vivant, lui-méme métonymie de la communion des saints qui est hors de l'espace et du temps. La relique ne peut donc pas étre appréhendée comme une matière, encore moins comme un objet ou un artefact, car ces notions contemporaines reposent sur l'idée d'une distinction entre la matière, le corps et l'esprit, autant de catégories qui sont précisément confondues dans la relique.

En définitive, si la perspective d'histoire matérielle suivie tout au long de l'ouvrage présente le mérite de prendre en compte tous les aspects de ces "images-objets", elle apporte aussi un biais lorsqu'elle est appliquée aux reliquaires. Le problème, majeur pour l'historien, est qu'entre la définition du culte des reliques au IVe siècle et le Moyen Âge central, les doctrines et les pratiques ont évolué au point d'intégrer des productions manufacturées dans la catégorie des res sacratae. C'est donc dans cette dynamique que se situe la question du reliquaire : contenant de la relique, signe ou analogie de celle-ci, image vraie ? Si des auteurs comme Suger ont pu penser, au milieu du XIIe siècle, que les gemmes, les matières précieuses et les couleurs des ornamenta ecclesiae pouvaient étre non seulement le signe du sacré mais aussi leur incarnation, ce ne fut pas le cas lors de la période étudiée ici. À nous d'expliquer le long processus par lequel une telle conception a été rendue possible. Sans doute un détour par la théologie de l'icône et par celle de l'eucharistie permettrait de répondre. Une dernière remarque pour finir. AP prend soin, au fil de son livre, de qualifier les œuvres qu'il étudie tantôt comme "reliquary", "box", ou "casket" et de se demander systématiquement si l'objet concerné a effectivement contenu des reliques et s'il fut employé comme reliquaire d'autel. Dans le titre de sa thèse, il avait retenu pour les englober la notion de "boîtes à images chrétiennes". Il est dommage que cette notion n'ait finalement pas été conservée pour le livre, car elle me semble mieux à méme d'englober les différentes œuvres concernées. AP a donc posé dans son livre un certain nombre d'hypothèses intéressantes, mais beaucoup de questions restent encore ouvertes.

Didier Méhu