Rezension über:

Jean-Patrice Boudet / Jean-Charles Coulon / Philippe Faure et al.: Le roi Salomon au Moyen Âge. Savoirs et représentations (= Bibliothèque d'Histoire Culturelle Du Moyen Âge; 22), Turnhout: Brepols 2022, 324 S., 32 Farb-, 20 s/w-Abb., ISBN 978-2-503-59319-7, EUR 70,00
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Rezension von:
Cécile Barluet
Université Paris Nanterre
Redaktionelle Betreuung:
Ralf Lützelschwab
Empfohlene Zitierweise:
Cécile Barluet: Rezension von: Jean-Patrice Boudet / Jean-Charles Coulon / Philippe Faure et al.: Le roi Salomon au Moyen Âge. Savoirs et représentations, Turnhout: Brepols 2022, in: sehepunkte 23 (2023), Nr. 7/8 [15.07.2023], URL: https://www.sehepunkte.de
/2023/07/38071.html


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Jean-Patrice Boudet / Jean-Charles Coulon / Philippe Faure et al.: Le roi Salomon au Moyen Âge

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Cet ouvrage est le fruit d'un colloque qui a rassemblé les 18 et 19 octobre 2018 à Orléans, une équipe d'historiens, de littéraires et d'historiens du droit, dont plusieurs avaient déjà travaillé sur le personnage de Salomon, de façon large ou plus spécialisée. Ceux-ci cherchaient alors à renouveler le regard porté sur le modèle salomonien tel qu'il fut compris et interprété au Moyen Âge. Les éditeurs (J.-P. Boudet, J.-C. Coulon, P. Faure, J. Véronèse), sans nier l'apport des travaux réalisés depuis les années 2000, entendent s'en distinguer, tant par la période historique envisagée que par la façon dont est étudiée la figure du roi Salomon. Ils concentrent en effet leur enquête sur la période médiévale, tout en élargissant le spectre d'analyse, de l'Orient à l'Occident, à l'ensemble des aspects du personnage, sans se restreindre à son seul rôle politique.

Au Moyen Âge, le roi Salomon est en effet célébré pour le modèle qu'il peut représenter pour les rois et les princes. Il sert alors de fondement heuristique à de nombreux miroirs aux princes, qui louent le savoir et la vertu de ce roi vétérotestamentaire choisi par Yahvé pour diriger son peuple. Toutefois, de nombreuses autres facettes de sa personnalité sont également mises en avant dans les usages médiévaux. Ces aspects, sortis de l'ombre, révèlent un personnage paradoxal, se définissant par sa sagesse et son pouvoir exemplaire tout en jouant avec les sphères du secret et de la magie. Ce sont ces deux dimensions qui conduisent l'ouvrage collectif, dont les auteurs interrogent des sources variées, issues autant de la tradition orientale qu'occidentale.

L'ouvrage contient quinze présentations, toutes rédigées en français. La première partie rassemble sept contributions qui montrent comment la légendaire sagesse salomonienne est nuancée dans les sources médiévales, qu'elles soient issues de la tradition chrétienne, juive ou musulmane. Fontaine de vertu - trois livres de l'Ancien Testament lui sont attribués de façon unanime, deux autres de façon moins consensuelle - Salomon est régulièrement moqué pour ne pas parvenir à suivre les règles qu'il a lui-même fixées.

Danielle Buschinger et Roy Rosenstein abordent tous deux par exemple, l'une à partir des textes allemands, l'autre par l'exégèse biblique, la confrontation entre le roi Salomon et Marcolf, ou Marcoul, un rustre issu des classes pauvres de la société. Ce dernier oppose par une éloquence habile un contre-proverbe à chaque sagesse émise par le roi, le tournant en ridicule et achevant ainsi de consacrer la satire dirigée contre lui. De son côté, l'exégèse coranique met en avant le rapport entre Salomon, "prophète-roi", et les animaux : il peut comprendre les oiseaux ou les fourmis ; son armée, formée de djinns, d'humains et d'oiseaux, accomplit des miracles ; le vent lui est soumis (Pierre Lory). Ses artéfacts - sceau, anneau, tapis - sont identifiés comme étant à l'origine de son pouvoir, et les médiévaux attribuent des vertus magiciennes ou exorcistes au personnage de Salomon (Jean-Charles Coulon). Cette tradition se retrouve dans l'héritage latin ou rabbinique. L'exégèse biblique chrétienne, héritant de la tradition juive, voit en Salomon un modèle d'exorciste et de magicien, qui peut lier et délier les démons à son gré, et les soumettre à ses volontés, inspirant de nombreux traités de dépossession. Une pratique qui ne fait toutefois pas l'unanimité parmi les clercs, ceux-ci émettant des réserves : ils distinguent notamment les bons et les mauvais exorcismes, l'usage de la "magie salomonienne" étant plutôt mal perçue (Julien Véronèse). Les écrits juifs transmettent eux aussi à l'époque médiévale des rituels de convocations de démons et des textes d'exorcismes, dont le Testament de Salomon, qui permet de les soumettre (Emma Abate).

La seconde partie, constituée de six présentations, s'oriente vers l'observation du personnage de Salomon à travers un regard plus matériel : le temple, l'iconographie, les objets magiques sont autant d'aspects permettant d'éclairer le règne salomonien tel qu'il est compris au Moyen Âge. Kristina Mitalaité présente par exemple la façon dont le temple, bâti à Jérusalem à partir de 986 aC, est vu par Bède le Vénérable comme la préfiguration de l'Église. L'exégèse médiévale chrétienne, cherchant à trouver une cohérence entre l'Ancien et le Nouveau Testament, participe de cette assimilation entre le temple salomonien et la communauté ecclésiale, dans un mouvement qui conduit ensuite de l'Église terrestre à la patrie céleste (Guylène Hidrio). L'iconographie médiévale illustre par ailleurs l'aspect contrasté et ambivalent du monarque. Si la culture visuelle dans le monde latin met en avant un prince de paix, préfigurant le Christ par un lien typologique renforcé (Philippe Faure), il est également représenté par la faiblesse qu'il démontre à la fin de sa vie, s'éloignant de la loi divine et se tournant vers l'idolâtrie sous l'influence de ses nombreuses épouses étrangères (Christian Heck). Les objets magiques entourant Salomon sont à nouveau abordés ici, en particulier le shamir, élément mystérieux dont la nature oscille entre le minéral, le végétal et l'animal. Il est associé à des pratiques de divination et d'exorcisme attribuées à Salomon dans la littérature orientale comme occidentale (Allegra Iafrate). C'est donc l'image d'un monarque puissant mais faillible qui apparaît. L'iconographie musulmane révèle que ce n'est que par une grande piété et obéissance à Dieu que Salomon peut se maintenir dans le droit chemin, et être alors un modèle de roi idéal, au gouvernement juste et vertueux (Anna Caiozzo).

Une dernière participation, envisagée à la façon d'un épilogue, observe la postérité de la figure de Salomon dans la franc-maçonnerie et les compagnonnages du XVIIe au XIXe siècle. Le monarque est alors vu à la fois comme maître fondateur et initiateur de rites secrets (Hugues Berton et Christelle Imbert).

Il n'est pas aisé d'insuffler un fil conducteur unifié à un ensemble de contributions aussi diverses, et puisant dans des sources aussi variées que celles qui sont présentées dans cet ouvrage. L'objectif qui le mène, celui de proposer un regard nouveau sur le roi Salomon à l'époque médiévale, est pourtant atteint. La dimension équivoque, ambivalente du personnage royal parcourt l'ensemble du livre, et les différentes enquêtes reflètent toutes ces multiples aspects, que ce soit dans les sources littéraires, iconographiques ou architecturales. En cherchant à faire dialoguer l'Orient et l'Occident, les éditeurs ont voulu accentuer la proximité des regards portés de part et d'autre sur le monarque au Moyen Âge.

Ainsi, l'optique comparative qui conduit ce livre, affirmée d'emblée, permet des croisements féconds. Salomon se trouve placé au cœur du dialogue entre les champs disciplinaires et religieux, permettant que se nourrissent l'histoire politique et l'histoire des pratiques culturelles de la magie, mais également l'histoire du Christianisme, du Judaïsme et de l'Islam. La justification de la répartition en deux grands axes pourrait toutefois être discutée et certains articles des deux parties abordent des thématiques proches, concernant notamment les pouvoirs magiques de Salomon. Le livre est enrichi de nombreuses figures et illustrations au gré des contributions, ainsi que de très belles planches couleurs à la fin de l'ouvrage, qui puisent, dans les manuscrits médiévaux, des images du Temple, de la Jérusalem céleste ou encore du roi Salomon en majesté.

Cécile Barluet