Rezension über:

Amable Sablon du Corail: La Guerre de Cent ans. Apprendre à vaincre (= Du méme auteur), Paris: Passés composés 2022, 460 S., 13 Kt., ISBN 978-2-3793-3216-6, EUR 25,00
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Rezension von:
Valérie Toureille
CY Cergy Paris Université
Redaktionelle Betreuung:
Ralf Lützelschwab
Empfohlene Zitierweise:
Valérie Toureille: Rezension von: Amable Sablon du Corail: La Guerre de Cent ans. Apprendre à vaincre, Paris: Passés composés 2022, in: sehepunkte 23 (2023), Nr. 6 [15.06.2023], URL: https://www.sehepunkte.de
/2023/06/37578.html


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Amable Sablon du Corail: La Guerre de Cent ans

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Ecrire l'histoire de la guerre de Cent Ans en un volume unique demeure un exercice périlleux pour les historiens qui s'y risquent, à cause de l'enchevêtrements des faits et du nombre des acteurs cités. Mais aussi à cause des revirements, parfois peu compréhensibles, de certains d'entre eux. Sans compter avec la géographie fluctuante de l'époque, difficile à comprendre sans le support d'un solide atlas. Les chroniqueurs du temps (Froissard, Monstrelet...) n'ont eux-mêmes pas échappé à la tentation de tout dire, au point de nous avoir légué un labyrinthe de références. Il faut dès lors s'en tenir à une synthèse, mais comment, dans le genre, renouveler l'essai lumineux d'Edouard Perroy, rédigé dans le contexte de la Seconde guerre mondiale, sans lasser le lecteur peu familier de la période et laisser le spécialiste sur sa faim ? De toutes, et pas seulement à cause de sa durée, la guerre de Cent Ans est l'une les plus difficiles à décrire, dans la confusion de ses attendus, les revendications territoriales des parties en présence ne pouvant raisonnablement pas fournir la matière des débats historiques qui nous animent et, parfois, nous opposent. Sur ce sujet, la confrontation de nos interprétations avec celles de nos collègues anglais est ainsi particulièrement éclairante. Même la personnalité des décideurs politiques (Charles VII en premier) demeure difficile à cerner.

L'éditeur a choisi un format destiné à couvrir tout le champ des évènements : 450 pages. C'est à la fois beaucoup et peu. Il fallait donc, pour oser une telle aventure éditoriale, une plume suffisamment alerte pour maintenir le lecteur en éveil et une démonstration, ou un fil conducteur, susceptible de la justifier. Amable Sablon du Corail, conservateur aux Archives nationales, ancien élève de l'Ecole des Chartes, a pour atout la limpidité du style, une qualité majeure lorsque l'on s'adresse aujourd'hui à un public plus large que le petit cercle de l'université. Il réussit à nous entrainer sans nous perdre dans les multiples circonvolutions du conflit. Et les cartes qui illustrent l'ouvrage, particulièrement réussies, accompagnent utilement la lecture. Cette facilité d'écriture a parfois son revers, quelques formules imagées qui auraient sans doute mieux trouvé leur place dans un article de presse comme "Les désastres se ramassent à la pelle" (61), "La faune interlope des compagnies" (110) ou "Le temps de la lutte des classes" (363).

L'argument de l'auteur est résumé dès le sous-titre "Apprendre à vaincre". Elle repose sur l'idée que si les Valois l'ont emporté sur les Plantagenêt, c'est parce qu'ils ont su mettre en œuvre une politique globale de conduite de la guerre dans les champs de la diplomatie, de la stratégie, mais aussi de la fiscalité et des représentations politiques. La thèse, évidemment, mérite d'être discutée et nous y reviendrons.

Le plan de l'ouvrage, organisé en six parties et vingt-deux chapitres, est strictement chronologique, hormis la sixième partie intitulée "Les clés de la victoire". C'est dans cette partie que l'auteur sort de la description des faits, dont la lecture constitue un bon aide-mémoire, pour présenter l'état de ses réflexions. La confrontation des deux familles régnantes, Valois contre Plantagenêt, apparait cependant comme un raccourci hâtif. Ni les Valois, ni les Plantagenêt, déchirés entre des haines mortelles, ne forment un groupe homogène et encore moins une unité de pensée. Peut-être faut-il lire, sous l'appellation générique des Valois, à laquelle l'auteur adosse les substantifs de "sobriété et hypocrisie", la personnalité de Charles VII qui, d'une certaine façon, inaugure un nouveau mode de gouvernement du royaume.

Amable Sablon du Corail, qui a fait de l'imposition le cœur de sa thèse, introduit son chapitre 20 par une phrase radicale : "Aux origines de l'identité française : l'impôt". Évidemment, l'impôt, la guerre et l'État forment à eux trois un cercle vertueux, l'Etat en construction se nourrissant des deux autres pour consolider ses acquis. Mais il me paraît hasardeux de faire de l'imposition la clé de l'identité française, même en distinguant, comme il le fait "l'impôt des villes" et "l'impôt des champs". Cette approche permet à l'auteur de justifier les développements suivants sur les relations du roi avec la bourgeoisie, utilisant le terme de "domestication" et d'insister sur le "triomphe de la noblesse", mais il ne s'agit que d'un sursis.

De fait, après avoir beaucoup parlé des batailles et la manière de les conduire, l'auteur évite en conclusion le sujet militaire, en relativisant les évolutions techniques à l'origine des changements de stratégies. Si l'on examine la guerre de Cent Ans à travers sa seule ultime phase, qui correspond au long règne de Charles VII, on ne peut manquer d'être frappé par l'importance prise par les réformes conduites pour restructurer l'appareil militaire, sous le pilotage en particulier du connétable Arthur de Richemont. Quant à la question de l'artillerie, dont il explique à raison qu'elle fut déterminante, elle donna aux Français un avantage incontestable, modifiant la nature des sièges, mais aussi des batailles à partir de la seconde moitié du XVe siècle. A cet égard, en 1437, il est délicat d'affirmer que la France était sur la voie de la victoire. L'auteur a cependant raison lorsqu'il écrit que, dans la conduite de la guerre, la diplomatie joua aussi un rôle essentiel (c'est par la diplomatie que Charles VII éloigna le duc de Bourgogne de son allié anglais).

J'ai plus de mal à comprendre, en revanche, en quoi le rôle politique d'un roi confronté à la guerre serait d'une nature différente de ses fonctions de souverain, appelé à arbitrer entre des injonctions contradictoires, dans un environnement en partie obscur. Il est difficile, de surcroît, d'accorder aux Valois le bénéfice de la victoire sans tenir compte de la situation dans laquelle se trouvait alors le camp adverse. Dans cette affaire, les Anglais, confrontés à de graves difficultés internes, se sont prudemment retirés d'un conflit qui leur avait coûté beaucoup d'hommes et de ressources sans être sûrs de rentabiliser leurs investissements. Au-delà, les hasards ont aussi leur place dans l'Histoire des hommes et des Nations et la mort prématurée d'Henri V a rebâti les cartes d'un jeu dans lequel Charles VII avait perdu la main.

Au total, un livre très utile, plaisant à lire, riche de nombreuses références, et qui ouvre la voie à de nombreux débats. Le public y trouvera matière à enrichir son savoir sur une période mal connue de la construction de la France moderne. Les médiévistes y goûteront le plaisir des questions restées ouvertes.

Valérie Toureille