Rezension über:

Paola Dessì (ed.): Music in Schools from the Middle Ages to the Modern Age (= Épitome musical), Turnhout: Brepols 2021, 336 S., 72 Farb-, 8 s/w-Abb., ISBN 978-2-503-59889-5, EUR 55,00
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Rezension von:
Alexandre Cerveux
Faculty of Music, Oxford University
Redaktionelle Betreuung:
Ralf Lützelschwab
Empfohlene Zitierweise:
Alexandre Cerveux: Rezension von: Paola Dessì (ed.): Music in Schools from the Middle Ages to the Modern Age, Turnhout: Brepols 2021, in: sehepunkte 22 (2022), Nr. 7/8 [15.07.2022], URL: https://www.sehepunkte.de
/2022/07/36599.html


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Paola Dessì (ed.): Music in Schools from the Middle Ages to the Modern Age

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L'ouvrage dirigé par Paola Dessì comprend douze études originales relatives à la musique dans les écoles du Moyen Âge au 17e siècle. Son titre donne des gages aux tenants de l'approche académique classique, remontant à l'École des Annales (10): elle considère en particulier la musique qui s'enseigne ou s'apprend dans le cadre d'un ordre d'études structuré et institutionnalisé. Cette activité est réfléchie dans les traités de théorie musicale, les encyclopédies et autres classifications des sciences; également à travers les mentions dans les documents d'archives et comptables.

Cette approche pose un problème épistémologique récurrent: comment considérer le discours sur la musique formulé hors du cadre et des ouvrages institutionnels? Que dire des idées relatives à la musique dans des textes sans lien à priori avec la musique, par exemple dans les traités médicaux ou d'art équestre? Que dire quand elles interviennent où on les attendrait peu, comme dans les Vies d'artistes de Vasari?

Dans l'introduction, Paola Dessì cerne ce problème. Elle reconsidère à la fois la place de la musique dans le champ de la connaissance et l'organisation même du savoir musical, deux aspects intrinsèquement liés. Elle réinterroge les articulations classiques des disciplines où la musique est subordonnée aux autres sciences (comme les arts libéraux ou le quadrivium). Elle explore les marges du savoir, les interstices où apparaissent des idées sur la musique obéissant à un ordre différent. Dans ce cas, quel est le statut épistémique du savoir musical qui se dessine en creux?

Issus de disciplines différentes, les spécialistes ici rassemblés offrent des regards croisés sur la constitution du savoir musical, sa circulation, son enrichissement, sa justification, non seulement dans les écoles mais aussi autour et en dehors. Il en résulte une vaste enquête sur l'épistémologie de la musique, qui concerne la connaissance de la musique dans ses nombreuses implications théoriques, pratiques, conceptuelles et analogiques. Cette approche transversale rappelle que la finalité de l'enseignement musical ou d'idées connexes n'est pas nécessairement la musique en soi.

En effet, outre la circonscription du champ de l'ars musica, l'ouvrage pose une question fondamentale: quelle est la finalité de son enseignement? La musique a certes sa place parmi les sciences élémentaires mais elle en sort quand elle permet d'aborder des questions philosophiques. Par exemple, Letterio Mauro aborde la réflexion épistémologique de Giacomo Zabarella, professeur à l'université de Padoue (1564-1589), et ses catégories musicales: la musique théorique est la plus proche de la philosophie en ce qu'elle recherche des causes (celles des sons) à la différence de la musique pratique, "in solo cantu" (110), dépourvue de recherche.

Cet ouvrage interroge opportunément le statut du lieu où la musique s'enseigne. Il explore la phase de développement des institutions et la notion courante d'"école". Comment en légitimer l'enseignement? Faut-il suivre celui d'institutions reconnues? Quelle place, quelle organisation donner aux disciplines, notamment à la musique? Par ailleurs, l'ouvrage montre de façon éclairante l'approche complémentaire de l'enseignement proposé en marge du cadre formel. En effet, les textes théoriques et les idées circulent hors de l'université: les étudiants complètent leur cursus dans des cours privés où pratique et théorie musicales s'articulent plus librement. Ils sont connus grâce aux "libri amicorum" (81), sources précieuses pour connaître les maîtres tenant écoles, leurs étudiants, leurs usages. Ces écoles informelles participent pleinement de la vie et de l'économie musicales. Elda Martellozzo Forin l'illustre à travers le cas de Padoue aux 15e et 16e siècles où toutes les professions de la musique sont parties prenantes, maîtres, artisans et musiciens, commerçants de partitions et de papier.

Ce climat stimulant attire des étudiants soucieux de compléter leur formation. Le 16e siècle en particulier est celui de la "peregrinatio academica" (81). Certains étudiants viennent d'aussi loin que de Biélorussie pour compléter leurs études en Italie (127). Outre la constitution du savoir, le cadre des villes universitaires permet aussi la construction d'un habitus, de références culturelles partagées. Le but de ces pérégrinations est de saisir l'esprit, le goût et les manières.

En cela, la musique fait partie des outils de formation du caractère. Cette idée se retrouve dans le chapitre du regretté Xavier Bisaro sur l'enseignement conçu par Adrien Bourdoise (1584-1655), destiné aux écoliers de Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris. Pour Bourdoise, le chant bien réglé affine la sensibilité et donc le sentiment spirituel. Chanter la liturgie participe de la fondation de l'ethos chrétien, voire de la formation à la condition ecclésiastique. Il se joue donc autour de la musique quelque chose qui interroge son statut épistémique traditionnel - et reconnecte avec la théorie antique de l'ethos de la musique.

La présence d'idées sur la musique dans l'enseignement d'autres disciplines permet, par analogie, de transmettre des notions et idées nouvelles. Tel est notamment le cas des traités d'art équestre du 17e siècle, présentés par Gavina Cherchi. La relation du cavalier et de son cheval est conceptualisée sur le modèle harmonique, comme celle du luthiste avec son instrument: elle implique maîtrise du rythme, connaissance de l'instrument, coordination. L'implication est d'autant plus profonde que le cavalier maîtrisant sa monture représente la posture de celui qui sait gouverner. Ainsi, le modèle harmonique inspire jusqu'à la conception de la société - autre topos antique.

L'implication de la musique dans le domaine de l'éthique (habitus, sensibilité, société...) relève d'une compréhension intuitive, spéculative, non technique. Son caractère ineffable désamorce toute tentative d'explication et favorise même des discours en marge du champ de la discipline. Par l'angle de la verbalisation, la musique entre en contact avec la sphère du langage et les sciences du trivium. Elle permet de s'aventurer dans la dimension sonore, musicale de la langue, comme l'explique Donatella Restani au sujet de l'interprétation des Historie et Chansons de geste. La musique, en tant que science des sons, touche alors la dimension rhétorique, la théâtralité, le jeu destiné à faire adhérer l'auditoire aux messages portés par le texte.

Si cet ouvrage s'inscrit dans la continuité de travaux sur l'épistémologie de la musique, il permet assurément de retrouver du jeu. Ses douze études érudites, copieusement référencées, sont autant de points d'ouverture vers des conceptions peu familières d'une discipline généralement considérée comme circonscrite. Les quelques exemples fournis ici illustrent la fragilité de l'organisation traditionnelle du savoir. Ils révèlent une musique ambiante, non subordonnée, métaphorisée - et parfois insaisissable.

Alexandre Cerveux