Rezension über:

David R. Winter (ed.): The Llanthony Stories. A translation of the Narrationes aliquot fabulosae with an introduction and notes (= Mediaeval Sources in Translation; 59), Toronto: Pontifical Institute of Mediaeval Studies 2021, X + 173 S., ISBN 978-0-88844-309-0, USD 25,00
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Rezension von:
Marie-Anne Polo de Beaulieu
CNRS, Paris
Redaktionelle Betreuung:
Ralf Lützelschwab
Empfohlene Zitierweise:
Marie-Anne Polo de Beaulieu: Rezension von: David R. Winter (ed.): The Llanthony Stories. A translation of the Narrationes aliquot fabulosae with an introduction and notes, Toronto: Pontifical Institute of Mediaeval Studies 2021, in: sehepunkte 21 (2021), Nr. 10 [15.10.2021], URL: https://www.sehepunkte.de
/2021/10/35879.html


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David R. Winter (ed.): The Llanthony Stories

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L'institut pontifical d'études médiévales de Toronto nous livre un petit livre dont les titres tant latins qu'anglais sont des inventions. C'est un archiviste du XVIIe siècle qui a donné un titre latin paradoxal à ces quelques histoires rassemblées au sein de neuf feuillets du manuscrit Oxford Corpus Christi College, MS 32 (f. 92r-99v), paradoxal car la notion de fiction s'attache à l'adjectif fabulosae, alors que nous avons ici affaire à des récits exemplaires largement historiques, ancrés dans des réalités politiques et sociales locales. Le titre anglais, donné par David R. Winter à sa traduction anglaise se réfère au prieuré augustinien de sainte Marie de Llanthony à Gloucester d'où proviendrait, selon toute vraisemblance ce recueil de récits.

Ce petit recueil, incomplet (il manque les 14 premiers récits, les 15e et 49e sont tronqués) est resté unique. Il représente un cas très précoce de libelli exemplorum, sans doute le premier en Angleterre, mais ce type de texte est rarement bien indexé dans les catalogues de manuscrits et de nouvelles découvertes sont toujours possibles. On ne lui connait aucune copie, et l'absence de titre, de prologue, son caractère lacunaire et son titre latin ont sans doute contribué au désintérêt des spécialistes à son égard. J. Th. Welter, dans sa thèse sur l'exemplum parue en 1927, avait repéré ce libellus et avait même eu la chance de lire et transcrire son probable explicit aujourd'hui disparu, qui citait les auteurs connus et contemporains utilisés par le compilateur anonyme.

Ce regroupement de récits compilés au début du XIIIe siècle, alors que les Cisterciens s'attelaient à produire leurs propres recueils d'exempla [1], s'inscrit dans un manuscrit Oxford Corpus Christi College, MS 32 au contenu largement pastoral (théologie pratique, recueil d'exempla comme celui de Wiger d'Utrecht [2], sermons, sentences des Pères, traité sur l'Eucharistie... ) provenant - selon Neil R. Ker - du prieuré de Llanthony où il serait resté jusqu'à sa dissolution en 1538. Son auteur pourrait bien être l'un des chanoines de Llanthony, tant il connait bien la culture, la société et le milieu aristocratique du Sud de l'Angleterre et des frontières du Pays de Galles mais aussi la liturgie et la vie commune des Augustiniens et l'art de prêcher. De plus, il ne cite jamais de religieuses ou de religieux d'autres ordres pourtant présents sur ce territoire. Ce compilateur serait d'origine anglo-normande ou anglo-galloise.

Si le terme exemplum n'apparait jamais dans ce texte lacunaire, le compilateur ou le copiste a bien matérialisé l'unité de chaque récit dans la mise en page du manuscrit, chaque exemplum commence par une initiale de plus grande taille et un alinéa, accompagné d'une numérotation en chiffre romain. Cependant, si la source des récits est souvent donnée (sources orales pour les exempla historiques, avec les expressions Ex relatu, ex dictis (ex. 20-22, 25, 33, 35, 42), mais également une source écrite : un traité d'Etienne Langton (ex. 29), on peine à trouver la leçon morale ou théologique qui devrait soit introduire soit clore le récit (ex. 44 sur la confession). D'ailleurs, l'explicit recopié par Welter évoque des anecdota. Pourtant l'usage pastoral est clairement évoqué pour l'un de ces récits exemplaires provenant d'un sermon ad populum de Walter de Londres (n° 28). De plus, le contexte du manuscrit 32 indique qu'ont été regroupés entre 1260 et 1300 quatre cahiers relevant largement de pastoralia datant du début au milieu du XIIIe siècle. Cependant, il s'agit probablement d'une pastorale tournée vers la formation des chanoines de Llanthony, mise à la disposition des membres de la communauté parmi les livres enchainés, correspondant à nos usuels. On se trouverait là devant un échantillon de « folklore canonial » pour paraphraser l'expression de Brian P. McGuire évoquant le « folklore monastique » qui se déploie dans les recueils cisterciens contemporains manquant encore de structure bien nette comme le Collectaneum exemplorum et visionum Clarevallense et le Liber visionum et miraculorum Clarevallensium d'Herbert de Torrès.

Ce modeste libellus est bien représentatif d'une catégorie de recueils d'exempla trop peu étudiés : les anonymes et sans titre ni prologue ni structure apparente et qui sont légion.

Winter propose un plan assez convainquant bien qu'il ne soit pas matérialisé dans le codex par des titres de chapitres. Il s'agit plutôt de regroupements thématiques de 3 à 7 exempla évoquant tour à tour : Les interventions de la Vierge Marie ; Le corps et le sang du Christ ; Le discernement ; Les appétits ; La tentation et la discipline claustrale ; La charité et les œuvres de piété ; Le Repentir, la confession et la mort sous le signe de la grâce ; La pureté spirituelle et charnelle.

La moitié des exempla provient d'un fond commun également utilisé par Césaire de Heisterbach, Jacques de Vitry et Eudes de Cherinton. L'autre moitié correspond à des exempla historiques, pour reprendre la typologie d'Ugo Bizzarri [3], souvent uniquement conservés dans ce recueil. Ils sont liés à une histoire locale ou parfois un peu plus éloignée concernant le royaume de France : les rois Louis VII et Philippe Auguste, mais aussi Simon de Montfort et le comte Thibaud de Champagne et son épouse Adèle de Champagne. Pour l'Angleterre sont mis en scène Aliénor d'Aquitaine, des maîtres des universités naissantes de Paris et Oxford tels qu'Etienne Langton, Walter de Londres et Gérard la Pucelle, ainsi que des prélats de l'archidiocèse de Canterbury comme Baldwin d'Exeter, Richard de Douvres et l'incontournable Thomas Becket. Les noms de lieux et de prélats de moindre renommée se réfèrent souvent aux West Midlands et à la région de Gloucester. Cette proximité participe de l'autorité de ces anecdotes exemplaires, comme l'avait montré I. Rava-Cordier pour un recueil méridional de la fin du XIIIe siècle. [4]

Le compilateur ne cite jamais la bible, les Pères, les Vitae Patrum ou les Dialogues de Grégoire le Grand, qui sont le fond commun de cette littérature exemplaire encore en devenir à cette période. Dans un seul cas le compilateur recourt aux exempla allégoriques pour évoquer la Passion du Christ : le corps du Christ est comme un manuscrit écrit par lui-même avec l'encre de son sang ou bien comme les diverses parties d'un couteau (exempla 23-24).

Une longue et riche introduction permet de documenter au mieux le contexte de production de cet étonnant libellus exemplorum. Elle est suivie de la traduction anglaise, elle-même suivie de l'édition du texte latin, respectant le plus possible l'orthographe médiévale mais avec quelques abréviations non développées comme Glouc ou Verd pour Gloucester et Verdun. Enfin les sources et textes parallèles sont largement présentés en recourant à la base de données ThEMA [5], accompagnés d'identification soignées des personnages historiques mis en scène.

Un index général permet de retrouver les thèmes majeurs de ces récits exemplaires, les auteurs et les œuvres médiévaux et contemporains.

On se permettra de rectifier quelques dates de recueils : l'Alphabetum narrationum date de 1298-1302 et non vers 1340, et la Scala coeli des années 1327-1330 et non vers 1323. On regrette que le texte latin et sa traduction anglaise ne soient pas publiés en vis-à-vis. Au-delà de ces réserves mineures, on ne peut que conseiller la lecture de ce libellus aux récits très vivants, hauts en couleurs, pleins de détails renvoyant aux realia comme aux topoï, bien loin des récits secs des simples répertoires fonctionnels d'exempla comme par exemple la Tabula exemplorum.


Notes:

[1] Recueils cisterciens: Collectaneum exemplorum et visionum Clarevallens, ed. Olivier Legendre, Turnhout 2015; Herbert de Torrès: Liber visionum et miraculorum Clarevallensium, ed. Stefano Mula, Turnhout 2017.

[2] D. R. Winter: The liber exemplorum of Master Wiger of Utrecht: Study and Text (Thèse de doctorat, University of Toronto, 2000), disponible en ligne: https://tspace.library.utoronto.ca/handle/1807/13529.

[3] Hugo O. Bizzari: La otra mirada : el exemplum historico, Wien 2019.

[4] Isabelle Rava-Cordier: La proximité comme élément de persuasion: les références géographiques, sociales et culturelles dans les exempla d'un Sachet provençal au XIII e siècle, in: Cahiers de Fanjeaux 32 (1997), 225-248.

[5] http://thema.huma-num.fr/

Marie-Anne Polo de Beaulieu