Nathalie Verpeaux: Des religieuses, les pieds sur terre et la tête dans le Ciel. Saint-Andoche et Saint-Jean-le-Grand d'Autun au Moyen Âge (= Ecclesia militans; 4), Turnhout: Brepols 2016, 706 S., 3 Farb-, 134 s/w-Abb., 2 Tabl., ISBN 978-2-503-55442-6, EUR 95,00
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Issu d'une thèse dirigée par Michel Parisse et soutenue à la Sorbonne en 2009, l'ouvrage de Nathalie Verpeaux se présente sous la forme inhabituelle d'un premier volume de 706 pages sur papier et d'un deuxième volume numérique accessible sur une plateforme dédiée permettant de consulter 506 pages de matériaux prosopographiques.
L'introduction (7-25) met en évidence les enjeux de l'étude de deux abbayes bénédictines de femmes, Saint-Andoche et Saint-Jean-le-Grand d'Autun, pour les trois derniers siècles du Moyen Âge. Élaborée à partir du dépouillement systématique des archives provenant des ou liées aux deux abbayes - plus abondantes à partir du milieu du XIIIe siècle - puis de leur transcription et éventuellement de leur traduction, cette enquête ambitionne de combler un angle mort historiographique de l'analyse du milieu monastique féminin du Moyen Âge en rendant compte de la vie quotidienne de religieuses dans leur communauté au travers d'une double monographie, accompagnée d'un dense travail prosopographique comme en témoignent les notices biographiques du deuxième volume. La démarche comparative entre les deux abbayes de femmes permet de mettre intelligemment au jour l'articulation complexe entre le rôle de «seigneur très particulier» (24) et celui de pivot spirituel des deux communautés religieuses.
Le premier volume s'ouvre sur un chapitre préliminaire «Autun, Saint-Andoche et Saint-Jean-le-Grand avant le XIIIe siècle» (27-63) qui précise le contexte géographique et historique de l'ancrage original de ces deux communautés bourguignonnes avant le XIIIe siècle en s'appuyant sur les données archéologiques et les sources écrites. Il présente d'une part les spécificités d'Autun située aux portes de l'Empire germanique et d'autre part il retrace l'histoire de la fondation et de la refondation des deux abbayes aux époques mérovingienne et carolingienne. L'étude se divise ensuite en trois parties, suivies de nombreuses annexes (521-706) comprenant entre autres la bibliographie (537-597), un index des personnes (599-630) et un index des lieux (631-656), mais aussi plusieurs planches dont certaines en couleurs (523-536).
La première partie intitulée «Les religieuses éduennes...» (65-212) aborde la dimension sociologique du dossier en traitant tour à tour du recrutement à la fois social et géographique des deux abbayes. Nathalie Verpeaux développe ici la question des réseaux familiaux et discute notamment de l'emploi singulier du terme «nièce» (103-106) qui ne recouvre pas nécessairement un lien de parenté réel mais des attaches complexes entre religieuses autour d'une prébende. Puis la composition des communautés est examinée finement, permettant d'inventorier les différentes fonctions des religieuses au sein de leur communauté, mais aussi l'importante familia gravitant autour des abbayes incluant aussi bien des clercs que des laïcs, des femmes que des hommes. Le sujet de l'élection des abbesses est particulièrement détaillé et met en lumière les rapports de pouvoir à l'œuvre impliquant des figures d'autorité masculines telles que l'évêque ou le pape, signe que la question de «l'Église et des femmes» - pour reprendre la formule de Paulette L'Hermite-Leclercq - était loin d'être secondaire au Moyen Âge.
La deuxième partie «...les pieds sur terre...» (213-348) s'attaque ensuite à un point rarement abordé par les travaux portant sur l'histoire des femmes pieuses au Moyen Âge, celui des ressources temporelles des deux abbayes, de leur possession et de leur gestion en tant que seigneur. Nathalie Verpeaux détaille ainsi le temporel des deux abbayes et leur stratégie d'agrandissement, mais aussi leur méthode d'exploitation, de protection et d'administration des terres en leur possession. À ce propos, elle décrit les différentes solutions choisies par les communautés de religieuses au cours de leur histoire: déploiement de prieurés jusqu'au XIIIe siècle, puis recours à des officiers représentant les religieuses au XIVe siècle et enfin amodiation des revenus surtout au XVe siècle, démontrant ainsi leur capacité d'adaptation aux exigences juridiques et canoniques - en particulier l'enfermement des religieuses lié à la clôture monastique - pour maintenir leur puissance économique. Enfin, elle met l'accent sur l'inscription des deux abbayes dans la hiérarchie féodale, à la fois vassales et seigneurs, et donc pleinement assujetties aux jeux de pouvoirs propres à la domination seigneuriale.
La troisième partie «...et la tête dans le Ciel» (349-510) examine la vie religieuse dans les deux abbayes à travers la vie communautaire et la spiritualité ordinaire des religieuses ainsi que leur influence spirituelle dans la société locale. L'auteur souligne l'écart important entre l'idéal religieux attendu et les expériences réelles au sein des abbayes en répertoriant de nombreuses entorses à un respect strict de la Règle de Saint-Benoît, le vœu de pauvreté personnelle étant peu respecté tout comme les pratiques de vie communautaire ou de respect de la clôture. Toutefois, Nathalie Verpeaux note que si les deux abbayes revendiquent leur appartenance à l'ordre bénédictin, elles ne se semblent pas s'être officiellement engagées à suivre la regula. Pour autant, les deux abbayes ne peuvent être comparées aux chapitres de chanoinesses séculières qui existaient alors dans l'Empire germanique voisin car leur recrutement nobiliaire étroit n'a pas eu d'équivalent à Saint-Andoche et Saint-Jean-le Grand d'Autun. Malgré donc une certaine souplesse vis-à-vis des impératifs religieux propres à la vie monastique, les deux abbayes, en tant que communautés de religieuses, semblent avoir rayonné spirituellement sur leur environnement immédiat.
Finalement, la conclusion entreprend de mettre en balance les éléments observés pour les deux abbayes et aboutit à un apport majeur de la thèse «L'image assez lisse d'un monachisme féminin qui ne varierait pas selon les lieux est donc erronée» (518). L'analyse des communautés religieuses féminines est donc particulièrement délicate et ne peut être résolue qu'en multipliant les monographies permettant de mener une démarche comparative au long cours selon Nathalie Verpeaux.
Si on peut s'étonner de l'absence de certaines références bibliographiques majeures, telles que les travaux de Michel Lauwers ou de Constance H. Berman, Emilia Jamroziak et Anne E. Lester, l'examen exhaustif et méthodique des sources disponibles ne laisse pas d'impressionner. Nathalie Verpeaux pose ainsi la première pierre thématique et méthodologique d'un immense travail à mener pour mieux connaître et comprendre les femmes et l'Église médiévale. Enfin, on ne peut que se féliciter du choix éditorial fait par Brepols d'une double édition papier et numérique, qui permet ainsi aux travaux de thèse d'être publiés sans que soient pour autant sacrifiés des pans entiers des recherches menées.
Anne-Laure Méril-Bellini delle Stelle