C'est l'histoire d'un papyrus découvert dans le Fayoum en 1904, édité pour la première fois en 1923 par Karl Kunst puis en 1932 par Vittorio De Falco avec une réédition en 1954. Presque un siècle après sa première publication, Davide Amendola propose avec bonheur une réédition complète d'un papyrus qui a fait couler beaucoup d'encre, essentiellement sur l'authenticité du long passage concernant le procès au cours duquel Démade aurait été condamné à mort après un réquisitoire sans concessions mené par Dinarque de Corinthe (sur lequel les pages 146-155 donnent une vision large et très intéressante). Ce papyrus contient également un enkomion de la dynastie lagide qui lui, a eu une postérité critique plus discrète et l'on comprend pourquoi ce document est connu sous le nom de The Demades Papyrus, sans nulle référence explicite au passage concernant la dynastie lagide. Le papyrus, disposé en vingt colonnes, est très abîmé dans sa partie inférieure (les photographies en fin de volume permettent de se rendre compte de l'état général du support, correctement conservé dans sa partie supérieure mais dans souvent à l'état de lambeaux dans sa partie inférieure) et vingt petits fragments sont publiés ici pour la première fois. Le papyrus semble dater de c. 100 a.C. mais Amendola en rapporte le contenu au début du IIIe siècle.
Le livre se décline en trois parties bien distinctes : une large introduction présentant le papyrus lui-même, les conditions de sa découverte (il provient d'un cartonnage d'une momie) et la nature du contenu. Dans un second temps, Amendola se livre à une longue et précise analyse à la fois historique et historiographique des derniers temps de la vie de Démade, au cours de laquelle il défend l'authenticité historique d'un procès organisé à Pella opposant Démade à Dinarque de Corinthe. Puis, Amendola propose une édition assortie d'un apparat critique - considérable mais nécessaire compte tenu de l'état du papyrus - suivie d'une traduction et d'un commentaire tant linguistique qu'historique.
Si, comme on l'a dit plus haut, l'enkomion de la dynastie lagide n'a pas eu une grande postérité critique compte tenu de l'abondance de la documentation sur le sujet, il n'en a pas été de même avec le dialogue entre Démade et Dinarque de Corinthe. Est-ce un texte ad usum scholarum, à usage scolaire, comme il en existe tant dans la littérature papyrologique (on songe en priorité dans le cas présent concernant Démade au discours qui lui a été attribué, Sur les douze années, mais dont personne n'a jamais contesté l'idée qu'il fut composé dans un école dans le cadre d'un exercice rhétorique), ou bien ce dialogue possède-t-il un fonds documentaire historique qui reprendrait, avec un nombre limité de modifications, le procès à l'issue duquel Démade aurait été condamné à mort et exécuté ?
La tenue d'un tel procès n'est cependant pas acquise: ce "procès" qui attendait Démade à Pella n'est connu que de Plutarque dans sa Vie de Démosthène (31.4-6), thèse reprise par Photios (2.70) qui affirme la tirer d'Arrien. Dans sa Vie de Phocion (30.8-10), il n'est pas question de procès mais d'assassinat direct de Démade par Cassandre dès leur entrevue, alors que pour Diodore (18.48), c'est Antipatros qui livre au bourreau Démade et son fils sans qu'il ne fasse allusion au moindre procès en bonne et due forme, avec un accusateur (Dinarque) et le défendeur (Démade en personne). Amendola argumente fermement en faveur de l'authenticité du fonds documentaire ainsi produit, rejoignant ainsi Vittorio De Falco et s'éloignant donc d'autres auteurs, tels Piero Treves et, tout récemment, Sviatoslav Dmitriev (The Orator Demades, Oxford, 2021; BNJ 227), qui optent quant à eux plutôt pour un exercice rhétorique proposé dans le cadre scolaire.
L'édition du texte (enkomion et dialogue) est d'une précision et d'une rigueur remarquables. On échoue à y trouver des faiblesses et on doit considérer cette édition du document comme définitive. La traduction, lorsque l'état du papyrus le permet, est toujours très fidèle. L'édition et la traduction sont suivies d'un commentaire à la fois philologique et historique très précis, en adéquation avec le parti-pris d'un document décrivant une réalité historique. Amendola connaît parfaitement la littérature antérieure à son travail et l'imposante bibliographie (p. 445-522) atteste l'étendue de son travail. Le livre se clôt par le catalogue des testimonia et des fragments de discours attribués à Démade (dont l'authenticité est, on le sait, souvent très discutable) et plusieurs index dont l'utilité sera évidemment grande pour les chercheurs.
On ne le dira jamais assez : l'ouvrage de Davide Amendola fera date dans l'édition papyrologique et je doute que des critiques solides puissent lui être adressées. Par contre, l'hypothèse de départ d'un papyrus dont le fonds documentaire initial serait les discours originaux échangés entre Démade, en tant que défendeur, de Dinarque de Corinthe en tant qu'accusateur, ne convaincra pas tout le monde pour des raisons de nature historique qu'il serait trop long de développer ici. J'aurai, dans un autre cadre, l'occasion de revenir sur ce point historique crucial.
Davide Amendola: The Demades papyrus (P.Berol. inv. 13045). A new text with commentary (= Sozomena. Studies in the Recovery of Ancient Texts; Vol. 17), Berlin: De Gruyter 2022, 598 S., ISBN 978-3-1106-0091-9, EUR 123,95
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